Qui était le Cheikh Al-Nimr, ce chiite exécuté par l’Arabie saoudite?

L’Arabie saoudite a annoncé samedi 2 janvier l’exécution de 47 personnes condamnées pour « terrorisme ». Parmi les suppliciés figure un haut dignitaire religieux chiite, le cheikh al-Nimr. Une exécution politique sous couvert de lutte contre le terrorisme, qui pourrait bien embraser la communauté chiite à l’intérieur comme à l’extérieur du royaume.

Comme on jette de l’huile sur le feu, l’Arabie saoudite a annoncé samedi 2 janvier l’exécution de 47 personnes condamnées pour « terrorisme ». En dehors du caractère massif de ces exécutions, c’est un nom parmi tous les suppliciés qui fait l’effet d’un baril d’huile lâché sur le brasier qu’est devenu le monde arabe : Nimr Baqer al-Nimr, surtout connu comme cheikh al-Nimr. Un éminent chef religieux chiite, opposant acharné et non-violent au régime saoudien incarné par la dynastie sunnite des al-Saoud.

Aussitôt rendue publique, sa mort a provoqué l’indignation de la communauté chiite. Manifestations à Bahreïn, condamnations au Liban ainsi qu’en Irak et surtout une virulente mise en garde de la part de l’ennemi intime de Riyad, l’Iran. « Le gouvernement saoudien soutient d’un côté les mouvements terroristes et extrémistes et dans le même temps utilise le langage de la répression et la peine de mort contre ses opposants intérieurs (…) il paiera un prix élevé pour ces politiques », s’est emporté le ministre iranien des Affaires étrangères Hossein Jaber Ansari.

La voix de la minorité chiite

Agé de 56 ans, al-Nimr était un ardent défenseur de la minorité chiite dans ce pays où la population est à 90 % sunnite. Le dignitaire avait notamment mené en 2011 la contestation populaire qui avait éclaté dans l’est du royaume, dans la foulée des « printemps arabes ». « Cheikh al-Nimr était l’une des responsabilités religieuses les plus respectées de la communauté chiite. Il était un opposant assez déterminé. Contrairement à d’autres dirigeants qui avaient à partir de 1993 ouvert un dialogue avec les autorités, il était hostile à ce dialogue. Mais autant que l’on sache, il n’était pas impliqué dans des actions violentes contre le régime », décrit Alain Gresh, spécialiste du monde arabe, ancien rédacteur en chef du Monde diplomatique et directeur du journal en ligne Orient XXI.

Un non-violent qui avait été arrêté en juillet 2012. Arrestation lors de laquelle il avait été accusé d’avoir ouvert le feu sur les forces de l’ordre, sans que ces assertions soient vérifiées, et avait lui-même été blessé par balle entraînant plusieurs mois d’hospitalisation. Les autorités saoudiennes lui reprochaient « essentiellement de provoquer la division entre les musulmans et de mettre en cause l’unité nationale », explique Alain Gresh. Aussi, « on lui reprochait évidemment d’avoir des relations avec l’Iran, ce qui était sans doute le cas, mais au sens où de nombreux religieux chiites ont des relations avec ce pays », ajoute-t-il.

Ce chef religieux avait ensuite été condamné en 2014 à la décapitation suivie de crucifixion pour « terrorisme », « sédition », « désobéissance au souverain » et « port d’armes » par un tribunal de Riyad spécialisé dans les affaires de terrorisme. « Lors de son procès, l’accusation s’est essentiellement appuyée sur ses prêches. Donc, il a surtout été condamné pour ses sermons, fait remarquer Adam Coogle, spécialiste du Moyen-Orient à Human Rights Watch. Son procès a été entaché de nombreuses irrégularités. En outre, il n’a pas eu de représentation légale lors de ses interrogatoires et les autorités ne lui ont pas donné l’opportunité de bénéficier d’une défense digne de ce nom. On ne peut pas considérer qu’il ait eu droit à un procès équitable. »

Bâillonner l’opposition

Ce type d’exécution politique sous couvert de lutte contre le terrorisme était redouté par de nombreux observateurs. Celle du cheikh al-Nimr, lourde de conséquences, traduit la ligne dure adoptée à la tête du pays depuis l’arrivée au pouvoir du roi Salman. Une décision « liée à la nouvelle équipe qui a pris le pouvoir depuis la mort du roi Abdallah, avec notamment le roi Salman et surtout son fils et le ministre de l’Intérieur Mohammed Ben Nayef, avance Alain Gresh. Donc on a deux des trois principaux dirigeants qui sont très jeunes et qui ont fait preuve d’une agressivité sur le plan régional qui n’était pas habituelle chez les Saoudiens. On l’a vu lorsqu’ils ont déclenché la guerre contre le Yémen (…). Beaucoup s’interrogent, y compris parmi les alliés de l’Arabie saoudite, comme les Etats-Unis sur la sagesse de cette équipe. »

Sur le plan de la politique intérieure, la mise à mort du cheikh illustre aussi la volonté de bâillonner l’opposition chiite et d’envoyer un signal répressif à une jeunesse déshéritée exclue de la manne pétrolière. Une stratégie qui apparaît contre-productive aux yeux d’Alain Gresh. « On peut penser que ces exécutions vont radicaliser une partie de la population chiite. Il y avait deux tendances chez les chiites, une favorable à un dialogue avec le régime en espérant une évolution progressive, et une autre qui était beaucoup plus radicale, que al-Nimr représentait en partie. Mais je pense que cette exécution, loin d’affaiblir cette tendance, va amener les chiites à penser que seule une opposition violente au régime peut donner des résultats. »

« Cette action provoquera la colère des jeunes, confirme le frère du cheikh al-Nimr, Mohammed. (…) Il y aura des réactions négatives à l’intérieur du royaume et à l’étranger mais nous espérons qu’elles seront pacifiques. (…) Nous rejetons la violence et l’affrontement avec les autorités tout comme le martyr cheikh. »

Les soutiens de l’Arabie saoudite comme les Etats-Unis et la France font pour l’instant profil bas. Paris n’a pas encore réagi, ce qui n’est pas le cas de l’Union européenne. « Le cas spécifique du cheikh Nimr al-Nimr soulève de sérieuses inquiétudes sur la liberté d’expression et le respect des droits civils et politiques de base, qui doivent être préservés dans tous les cas, y compris dans le cadre de la lutte contre le terrorisme », a déclaré la chef de la diplomatie européenne Federica Mogherini.

Olivier Da Lage, Journaliste à RFI et spécialiste des pays du Golfe :
«Les autorités actuelles d’Arabie saoudite veulent montrer leur détermination à lutter contre toute opposition.
En amalgamant le jihadisme et les opposants d’inspiration chiite, c’est-à-dire, du point de vue saoudien, les opposants soutenus par l’Iran… »

(rfi)

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