FRANCE : Loi Travail, le bras de fer continue

Le climat social en France reste particulièrement dégradé. Blocages de sites, pénurie de carburants, perturbations dans les gares et les aéroports… La contestation prend de l’ampleur. Le bras de fer entre le gouvernement et les syndicats contestataires se poursuit.

Au cœur de cette mobilisation, le projet de loi Travail. Le gouvernement semble bien décidé à ne pas céder sur le fond, et notamment sur l’article 2 qui cristallise les tensions. Cet article vise à faire primer l’accord d’entreprise sur l’accord de branche. Son objectif : donner plus de souplesse aux employeurs, notamment sur l’organisation du travail dans les entreprises.

Les foyers secondaires

Mais cette fermeté du gouvernement n’empêche pas de petits ajustements. Accordés dans le cadre des négociations sectorielles, ces ajustements concernent, par exemple, les chauffeurs routiers. Après une semaine de blocages, leurs syndicats ont obtenu un engagement du gouvernement sur le maintien de leur régime d’heures supplémentaires, et ce malgré les dispositions de la loi Travail.

C’est cette même démarche qui prévaut dans les négociations à la Société nationale des chemins de fer français (SNCF), où le gouvernement vient de garantir au syndicat Confédération française démocratique du travail (CFDT) la réécriture de l’accord d’entreprise pour préserver les acquis des cheminots. Face à la situation de blocage, le gouvernement joue la carte de la division syndicale.

« La loi El Khomri ne s’intéresse pas spécialement aux statuts de la SNCF, pas plus qu’elle ne s’intéresse au règlement de la question des intermittents du spectacle », note Bernard Vivier, directeur de l’Institut supérieur du travail (IST), expert des relations sociales et syndicales. Selon lui, nous sommes aujourd’hui en face d’une situation où « le gouvernement demande à un avion canadair d’éteindre les incendies localisés ».

Et ce, « en déversant sur eux des moyens financiers, des règlementations qui permettent à ces groupements catégoriels de trouver, à la faveur de cette mobilisation générale, une solution favorable à leurs problèmes particuliers », estime Bernard Vivier. « Le gouvernement, en travaillant le catégoriel, segment par segment, essaye de couper tout ce qui est géré par la CGT au niveau national », conclut-il.

Un choc doctrinal

La Confédération générale du travail (CGT) joue dans ce conflit sa première place de syndicat de France. Actuellement, elle bénéficie d’une représentativité de 30,6 %, mais elle est talonnée de près par une CFDT à 29,7 %. En prenant la tête de la contestation autour de la loi Travail, la CGT s’est appuyée sur les secteurs où elle est encore majoritaire, comme l’énergie, les ports ou les docks, et donc sur les branches professionnelles.

Une position qui tranche avec celle de la CFDT, favorable à l’accord d’entreprise. La CFDT a choisi la voie de la réforme, comme l’explique Guy Groux, chercheur associé au Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), au nom d’un changement qui s’est opéré sur le marché du travail. « La négociation de branches était parfaite lorsque nous avions le plein emploi », décrypte-t-il.

« Des accords de branche qui uniformisaient les statuts, des avantages, des conventions, etc., au niveau de la totalité des entreprises, petites et grandes, c’étaient des accords qui faisaient fonctionner un certain principe d’égalité et de compensation des effets les plus terribles de la concurrence entre les entreprises elles-mêmes, et donc entre les travailleurs », rappelle-t-il.
Deux visions du marché du travail

Le marché du travail a été redéfini, mais aussi fragilisé. « A cause d’éléments qui jouent aujourd’hui en faveur d’une flexibilité – toujours plus grande – des tâches, des marchés ou encore des concurrences, il est très difficile de continuer de calquer un modèle, qui impliquait de la normalisation identique ou uniforme pour tous, à des situations présentes, qui impliquent une individualisation extrême », conclut Guy Groux.

Et c’est ce changement, justement, qui a du mal à passer en France. Mais cela s’explique, estime Bernard Vivier de l’IST : « En France, la moitié des salariés travaillent dans des entreprises de moins de 50 personnes. C’est-à-dire dans des entreprises où il n’y a pas de possibilité de négociation d’entreprise. Des entreprises où il n’y a pas de syndicat. La seule protection possible pour ces millions de salariés, c’est la négociation à un niveau supérieur. »

Mais il y a encore un autre avantage à ses yeux : « Ces règles au niveau des branches obligent les concurrents à respecter les mêmes règles, et évitent le dumping social. Donc, ce sont deux lectures du syndicalisme et des relations sociales. Et il est vrai que si la CFDT privilégie davantage l’échelon le plus modeste, c’est-à-dire l’entreprise, la négociation de branche a ses vertus », remarque-t-il. Deux visions s’affrontent, l’issue est loin d’être jouée d’avance.

 

(avec rfi)

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